LA FEMME ET L'INVENTION

par le Dr Farag MOUSSA
Président de la Fédération internationale des Associations d'inventeurs (IFIA)

Article publié dans le Bulletin d'Information de la Propriété Industrielle (Dakar, Sénégal)
N° 9 et 10, Octobre - Décembre 1997

- Les femmes inventeurs, ça existe? Posez la question et observez vos interlocuteurs.
- Marie Curie! S'exclament-ils comme s'ils avaient découvert l'oeuf de Colomb.
- Ben après…
Après, rien. Ou presque rien. Les inventrices sont occultées… Or, elles existent ces femmes d'idées, ces femmes qui créent, ces femmes qui inventent.

QUESTION À MILLE DOLLARS

Qui a inventé le liquide correcteur blanc que l'on emploie pour corriger les fautes de frappe de la machine à écrire? Autre devinette: qui a inventé le papier utilisé aujourd'hui dans le monde entier comme filtre à café?

Même si vous ne pouvez pas donner les noms de ces inventeurs, vous supposerez automatiquement, j'en suis sûr, que ceux-ci sont des hommes. En effet, conformément à l'image qu'on s'en fait, un inventeur ne peut être qu'un homme. Or cette image ne correspond pas du tout à la réalité!
L'inventeur du liquide correcteur blanc fut une secrétaire new-yorkaise, Bette C. Nesmith. La compagnie qu'elle fonda pour promouvoir son invention fut vendue par la suite à la Société Gillette pour la coquette somme de 47 millions et demi de dollars. Quant à l'inventeur du filtre à café, c'est une simple femme au foyer. L'Allemande Melitta Benz créa au début du siècle une entreprise familiale qui porte son prénom, Melitta, et qui emploie aujourd'hui 8000 personnes dans 18 pays différents, avec un revenu annuel de 950 millions de dollars.

Encore plus difficile. Cette fois dans le domaine des ordinateurs. Qui inventa, en 1842, le premier programme de l'Histoire? Et qui conçut, en 1952, le premier compilateur? On appelle compilateur le système qui permet à l'ordinateur de "lire" son propre programme à partir d'instructions codées.

Eh bien ces deux précurseurs du "software" étaient également des femmes! Le premier programmeur n'était autre que Lady Ada Byron Lovelace (1815-1852), fille du célèbre poète anglais, Lord Byron.

Un langage d'ordinateur important porte aujourd'hui son prénom: ADA. Quant à la seconde, l'inventrice du compilateur, il s'agit de la mathématicienne Grace Hopper, vice-amiral de la marine américaine, décédée en 1992.


L'INVENTION N'A PAS DE SEXE

Mes recherches sur le sujet datent de 15 ans. Elles m'ont confirmé dans l'idée que si le mot "inventeur" est masculin, il a définitivement son pendant féminin: inventrice! Les femmes inventent dans tous les domaines, et la notion d'invention "spécifiquement féminine" est inepte. D'ailleurs, ces inventions-là ne sont-elles pas l'oeuvre d'hommes le plus souvent? Alors!

Par ailleurs, les femmes inventent à tous les niveaux, de la simple invention quotidienne à la découverte planétaire. Prenez, par exemple, le cas de Rosalyn Yalow, docteur en médecine. Après plus de 25 années de recherches dans un hôpital du Bronx, à New York, Rosalyn S. Yalow aboutit à une invention révolutionnaire appelée radio-immunologie.

Pour cette invention, Rosalyn Yalow sera sacrée lauréate du Prix Nobel de physiologie/médecine en 1977, à l'âge de 56 ans. Un mot sur la radioimmunologie. Il s'agit d'un procédé ultra sensible permettant de mesurer, avec une extraordinaire précision, toute substance biologique présente en quantité inférieure à un millionième de gramme dans le sang et l'urine. Une invention qui est capitale pour la survie du corps humain!

J'ai l'air optimiste avec ces quelques exemples d'inventrices. Il n'empêche que les femmes inventeurs en général sont trop rares, trop peu nombreuses encore.


FAIRE CONNAÎTRE LES INVENTRICES ET LES ENCOURAGER

Il est primordial de mener des enquêtes à leur sujet, puis de publier les résultats sous forme d'articles, voire de brochures et de livres.

Moi-même, j'ai écrit 5 livres différents sur les femmes inventeurs, qui ont été publiés et traduits dans 6 langues: 3 en anglais, 2 en français, 2 en chinois, un en arabe, en coréen, en finlandais et en néerlandais. L'un de ces 11 livres est consacré aux inventrices des pays en développement et tout particulièrement à celles des Phillippines. L'Office des brevets de Cuba vient, quant à lui, de réunir dans un CD-Rom les informations essentielles sur les inventrices cubaines à qui des brevets ont été octroyés durant la période 1959-1995.

Des prix spéciaux devraient régulièrement leur être remis lors de salons d'inventions ou de concours - bref, dans des lieux où le public et les médias ont l'occasion de se rendre compte que oui, les femmes inventeurs existent bel et bien! Ces prix spéciaux destinés aux femmes ont certes leurs supporteurs et leurs détracteurs - tout comme les quotas féminins que l'on impose en politique. Il n'empêche. Grâce à ces prix spéciaux, les inventrices sont mises en lumière, on connaît leur oeuvre; une chance pour elles de se voir peut-être attribuer plus tard des prix plus prestigieux encore, qui autrement auraient sans doute été attribués à un homme….

L'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) offre depuis 1985 (fin de la première Décade des Nations Unies pour les femmes) sa médaille d'Or aux meilleures inventrices qui lui sont prtoposées à travers le monde. La Fédération Internationale des Associations d'Inventeurs (IFIA) en fait de même avec sa Coupe, et ce depuis 1993. L'IFIA est allée jusqu'à organiser avec l'Office suisse d'expansion commerciale (OSEC) un stand collectif pour inventrices de pays en développement et ce dans le cadre du Salon international des Inventions de Genève, en avril 1997. Grâce au soutien de l'OSEC, sept femmes de cinq pays (Argentine, Cuba, Pérou, Philippines et Sri Lanka) ont ainsi pu présenter leurs dernières inventions à plus de 90.000 visiteurs. Quelques inventrices d'Afrique (Maroc, Mali et Sénégal) avaient bénéficié du même soutien à Genève dans le cadre des stands collectifs IFIA-OSEC pour inventeurs de pays en développement (en 1996) et d'Afrique (en 1995).


UN RÉSEAU MONDIAL DES INVENTRICES

L'IFIA a fondé en mars 1995 IFIA-WIN (WIN, de l'anglais Women Inventors Network). Ce réseau mondial s'adresse aux inventrices et à celles qui les soutiennent, afin qu'elles puissent communiquer, sortir de leur isolement, nouer des contacts entre elles, se faire connaître et reconnaître. IFIA-WIN a comme membre d'honneur Madame Rosalyn Yalow (USA), inventrice de la radio-immunologie et Prix Nobel de Médecine 1977.

IFIA-WIN regroupe en premier lieu les associations d'inventrices, ainsi que les sections réservées aux femmes au sein des associations d'inventeurs. De telles organisations existent déjà dans huit pays: Argentine, Canada, Cuba, Finlande, Japon, Malaisie, Philippines, Suède. Nous sommes heureux de constater que les associations pour la promotion des inventions et des innovations du Sénégal et du Burkina Faso ont désigné au sein de leur Bureau des femmes pour s'occuper plus spécialement de la promotion des inventrices. IFIA-WIN rassemble également des femmes "disparates", inventrices ou non, mais qui toutes soutiennent les buts d'IFIA-WIN. En date du 1er octobre 1997, ces femmes étaient au nombre de 75 et provenaient de 32 pays: Allemagne (1), Argentine (1), Australie (1), Burkina-Faso (1), Brésil (3), Bulgarie (6), Canada (1), Chine (1), Egypte (1), France (6), Italie (1), Kenya (1), Lesotho (1), Malaisie (4), Mali (1), Norvège (2), Pays-Bas (2), Philippines (16), Plologne (1), Roumanie (1), Royaume-Uni (1), Russie (2), Sénégal (1), Sri-Lanka (2), Suède (1), Suisse (3), Syrie (1), Tanzanie (1), Turquie (1), USA (4), Yougoslavie (5), Zaïre (2).

IFIA WIN publie deux fois par an un bulletin d'information en anglais, et a présenté une exposition sur les inventrices contemporaines, lors de la Conférence mondiale des femmes à Pékin, en 1995.

IFIA-WIN décerne régulièrement des prix spéciaux aux inventrices et encourage l'attribution de prix aux femmes chaque fois que l'occasion s'en présente.


N'OUBLIONS PAS LES FILLES

Car ce sont elles qui deviendront, arrivées à l'âge adulte, les inventrices de notre monde de demain. D'ailleurs, de plus en plus on se rend compte que les filles s'intéressent tout autant aux sciences et aux techniques que les garçons si l'environnement et les mentalités le leur permettent. Le meilleur exemple que je puisse offrir est celui de la Suède où a lieu tous les 2-3 ans un concours national d'inventions destiné aux jeunes de 8 à 14 ans. Le pourcentage de participation des filles est monté de 12% à 51% aux 5e et 6e concours, c'est-à-dire qu'il a égalisé celui de la participation des garçons en une douzaine d'années seulement.

En conclusion, je répèterai ma devise: l'invention, les idées, la créativité, l'ingéniosité n'ont pas de frontière, d'âge, ni de sexe. En somme, la créativité est universelle, que vous soyez du Nord ou du Sud, jeune ou vieux, homme ou femme.


 
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