LES INVENTEURS EN EUROPE  

par le Dr. Farag Moussa
Président de la Fédération Internationale des Associations d'Inventeurs (IFIA)

Congrès international des inventeurs
Barcelone - Espagne (27-29 Mai, 1993)

Je suis heureux que l'on m'ait demandé de parler de l'inventeur en Europe plutôt que de l'inventeur européen qui n'est après tout qu'un inventeur parmi d'autres. Tant il est vrai que l'intelligence, la créativité, existent patout. Les innombrables voyages que j'ai effectués depuis plus de vingt ans sur tous les continents, n'ont fait que me confirmer dans ma conviction que le génie n'a pas de frontières. Il est le même à Tolède et à Sidney, à Londres ou à Komsomol-sur-l'Amour - du moins c'est ainsi que l'on nommait il y a quelques années encore cette petite ville perdue au fin fond de l'URSS.

J'ajouterai que le génie et l'imagination s'épanouissent à tous les âges et qu'ils ne touchent pas plus les hommes que les femmes, les garçons que les filles. Il y a quelques années, je me suis rendu à Washington pour remettre une médaille d'or de l'invention à une petite fille de six ans! Cette petite blondinette avait eu l'idée d'une chose toute simple, mais qui après tout pourrait être parfaitement valable: un biscuit qui aurait la forme d'une cuillère et serait vendu automatiquement avec les boîtes de nourriture pour chats et chiens. Une fois que la cuillère aurait servi à vider la boîte, elle serait ensuite cassée en petits morceaux et ajoutée à la nourriture de l'animal. Il suffisait d'y penser.

Mais je m'égare! Revenons à l'Europe et à ses inventeurs. Sachez que pour nous, à l'IFIA, l'Europe n'est pas une notion politique mais géographique: elle va de l'Islande à la Turquie, du Portugal à la Russie, de la Finlande à l'Italie. 64 associations nationales d'inventeurs couvrant toute la planète sont membres de l'IFIA. Parmi elles 31 appartiennent à la grande Europe géographique.

Ce n'est un secret pour personne: les droits, les facilités, les débouchés que les Etats d' Europe offrent à leurs inventeurs varient d'un pays à l'autre. L'IFIA, dont le but est de servir les inventeurs et de les protéger, est bien placée pour savoir qu'il est plus facile d'inventer à Barcelone qu'à Bucarest.

L'Espagne, par exemple, a la chance, contrairement à d'autres pays d'Europe, d'appartenir à la Communauté européenne et d'être membre de l'Office européen des brevets.

La Communauté européenne, c'est bien sûr un immense marché potentiel, un marché sans frontières pouvant toucher plus de 350 millions de personnes. Un vrai paradis, pourrait penser certains, pour les inventeurs de la Communauté!

De son côté, l'Office européen des brevets (OEB), dont le siège principal est à Munich, offre également des avantages aux inventeurs. Ceux-ci n'ont plus besoin de faire une demande de brevet séparément, pays par pays. Une seule demande auprès de l'OEB suffit pour que leur invention soit protégée dans plusieurs, ou même dans tous les pays européens membres de l'OEB lesquels sont au nombre de 17.

Ce tableau optimiste comporte pourtant une ombre. En effet, beaucoup d'inventeurs européens se plaignent lorsqu'ils comparent leur sort à celui des inventeurs des USA, dont l'office des brevets, à Washington, ne représente, lui, qu'un seul Etat, les USA, alors que l'OEB représente 17 pays de la mosaique européenne. Conséquence: l'inventeur américain paie presque 20 fois moins pour faire protéger son invention sur le territoire américain, lequel est après tout aussi vaste que l'Europe et porteur lui aussi d'un marché potentiel d'environ 300 millions de personnes.

Nous, à l'IFIA, sommes d'avis que les doléances des inventeurs européens sont justifiées. De toutes façons, nous pensons que les taxes de protection de l'OEB sont trop élevées et qu'elles devraient être abaissées. Les inventeurs européens ont également raison quand ils citent l'exemple des Etats-Unis où l'on accorde des conditions financières particulières aux inventeurs individuels et aux petites et moyennes entreprises.

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Parlant de l'Office européen des brevets, je voudrais rappeler ici que cet office n'est pas seulement un centre d'examen et d'enregistrement. C'est aussi, basé sur le contenu de centaines de milliers de brevets européens enregistrés sur disquettes, une banque de données. L'OEB a aussi une bibliothèque.

Les documents de brevets sont des mines de renseignements pour les inventeurs et pourtant ceux-ci les consultent peu. Le phénomène est le même partout en Europe où les centres de documentation de brevets, qu'ils se trouvent dans la capitale ou en province, sont peu fréquentés, je dirais même dramatiquement sous-utilisés.

D'où l'idée qui m'est venue, en ma qualité de Président de l'IFIA, d'adresser un questionnaire aux inventeurs européens, à travers leurs associations respectives, afin de comprendre le pourquoi et le comment d'une telle attitude: Méconnaissance de l'existence du centre? Difficulté d'accès (le centre est trop loin du lieu de résidence ou de travail)? Documents trop difficiles à consulter, à comprendre? Etc., etc.

L'OEB a favorablement accueilli ma proposition car une enquête telle que celle-ci sert également ses objectifs. C'est ainsi qu'il a été décidé que le questionnaire prendrait la forme d'un projet réalisé en commun par l'IFIA et l'OEB. Il sera envoyé dès cet automne à toutes les associations d'inventeurs dont les pays font partie de l'OEB et ceci en quatre langues, dont l'espagnol.

Réfléchissez: le savoir que les inventeurs d'aujourd'hui peuvent trouver dans les documents de brevets n'est après tout que le savoir d'autres inventeurs avant eux. Un savoir qui peut se révéler une source d'inspiration, ou de comparaison, ou même d'abandon d'une idée lorsque l'inventeur qui s'y réfère se rend compte que quelqu'un y a déjà pensé avant lui. D'où l'importance du questionnaire que vont lancer l'IFIA et l'OEB puisque c'est la première fois qu'une telle enquête s'adresse aux inventeurs, si rarement consultés.

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Le projet IFIA dont je viens de vous parler est exclusivement destiné à l'Europe, mais nous en avons bien d'autres qui s'adressent, eux, à tous les inventeurs, où qu'ils soient dans le monde. Je pense notamment à la commercialisation des inventions, qui est bien sûr l'objectif primordial de chaque inventeur. Depuis un peu plus de deux ans, l'IFIA tente de jouer un rôle d'intermédiare entre l'inventeur et l'industriel éventuellement intéressé par l'invention. Grâce à l'appui de l'association des inventeurs américains, nous nous sommes attaqués, pour commencer, au coriace marché des USA. Et croyez-moi, c'est dur!

Pour ceux que cela intéresse, voici comment nous procédons. L'inventeur qui désire utiliser ce service doit d'abord s'adresser à sa propre association d'inventeurs, laquelle doit être membre de l'IFIA. L'association fera ensuite suivre à l'IFIA. Dans le cas de l'Espagne, c'est le Club des inventeurs espagnols, dont le siège est à Barcelone, qui devrait prendre contact avec nous.

Ce service de commercialisation de l'IFIA est gratuit. L'inventeur ne déboursera rien avant qu'il n'ait touché ses premières royalties. A partir de ce jour, chaque fois qu'il recevra ses royalties, il en cèdera 3 1/2%, lesquelles seront réparties comme suit: une moitié allant à l'association américaine et l'autre étant partagée entre l'IFIA et l'association nationale de l'inventeur.

Cette expérience américaine de commercialisation est une sorte de test pour l'IFIA. Il est encore trop tôt aujourd'hui pour faire un bilan. Elle nous permet néanmoins d'apprendre, de rectifier certains travaux d'approche, etc. Nous préférons encore attendre un peu avant de nous lancer à l'assaut d'autres marchés. Il va de soi que je serais très heureux de recevoir vos suggestions à ce sujet important entre tous.

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Pour ce qui est des symposiums ou des séminaires, des cours de formation, des attribution de prix, des jumelages entre associations, des enquêtes, études, publications, etc., ces activités sont généralement le résultat de décisions prises entre l'IFIA et les associations, sans qu'il y ait de contacts directs entre l'IFIA et les inventeurs.

De toutes les actictivités de l'IFIA, les plus originales sont sans doute les jumelages entre deux associations. Ces jumelages, conçus tout d'abord comme des échanges Nord-Sud (par exemple les Pays-Bas et le Cameroun), réunissent également aujourd'hui des associations de l'Europe de l'Ouest et de l'Europe de l'Est (par exemple la France et la Roumanie). Ces jumelages reposent souvent davantage sur l'idée de solidarité et d'ouverture que sur l'idée de profit, et leur réussite tient énormement à des questions d'affinités et de personnes. Il va sans dire que le Club des inventeurs espagnols qui vient d'adhérer à notre Fédération il y a quelques mois à peine, est le bienvenu dans la grande famille des jumeaux de l'IFIA!

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Pour terminer j'aimerais souligner combien je suis heureux de voir qu'une partie importante de ce Congrès de Barcelone est consacrée aux problèmes de l'environnement. Vos préoccupations rejoignent en effet les miennes. Je suis personnellement persuadé que la place des inventeurs est d'être en première ligne dans le combat que l'humanité s'est enfin décidée à lancer contre tous les poisons qu'elle s'injecte à elle-même. Je suis d'ailleurs en train de mettre sur pied la première Rencontre du genre à Tunis pour le mois de septembre prochain - du 20 au 22 exactement. Titre de notre Rencontre: L'invention et la protection de l'environnement, avec en sous-titre: Rencontre Méditerranéenne.

Une Rencontre méditerranéenne à laquelle participeront des représentants de quasiment tous les pays européens bordant la Méditerranée. Dans le domaine de la protection de l'environnement, les Européens-méditerranéens sont très actifs, c'est dire que leurs inventeurs, pour revenir à eux, ont du pain sur la planche!

Les méditerranéens, qu'ils soient Européens ou Arabes, ne seront pas les seuls à participer à cette Rencontre. D'autres spécialistes encore, arrivés du Japon, des USA et d'une quantité de pays européens viendront apporter eux aussi leur contribution.

Pour ceux ou celles que cette Rencontre méditerranéenne intéresse je tiens ici une documentation complète à leur disposition.

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Pour conclure. C'est une évidence que la protection de l'environnement transcende les frontières inventées par l'homme, que nous dépendons tous aujourd'hui les uns des autres, que la pollution ne s'arrête pas à un bosquet et que les vagues de la mer n'ont pas de passeport.

Et bien voyez-vous l'inventeur c'est comme l'environnement! Ses inventions demandent protection sous toutes les latitudes. Et l'IFIA est là pour ça qui étend son aile sur tous ceux et celles à qui le monde doit tant, ces inventeurs dont on ignore presque toujours le nom… et dont on oublie trop souvent le porte-monnaie!