LE ROLE DES MASS MEDIA ET DE LA COMMUNICATION
DANS LA CREATION D'UN CLIMAT PLUS FAVORABLE
A L'INVENTION ET A LA CREATIVITE
Exposé présenté par le Dr. Farag Moussa
Président de l'IFIA
à un symposium International sur les jeunes inventeurs et innovateurs
(Plovdiv, Bulgarie, 3 à 5
juillet 1991)
Il y a trente ans, jeune
diplomate chargé de l'information de mon pays, l'Egypte, dans un pays européen, j'avais
très vite compris que si je voulais que la presse reparle du grand barrage
d'Assouan
il fallait attendre qu'il ait un accident! Et il y a quelques semaines, je
me disais que mieux valait être le général Schwartzkopf que d'avoir inventé la
pénicelline, si l'on voulait faire la Une du journal.
Mais trêve de pessimisme. Le
nom des grands bâtisseurs, des grands chercheurs, des grands inventeurs finissent par
figurer eux aussi un jour dans le dictionnaire!
Mon rêve, bien sûr, serait
qu'ils y figurent avant leur mort. Mon rêve serait aussi que l'on encourage davantage la
création et l'invention. Et mon but c'est que l'on mette tout en oeuvre pour créer un climat
qui soit favorable à l'inventeur, à son épanouissement, que naisse un
environnement qui suscite les talents, la créativité, chez tous et
particulièrement chez les jeunes.
L'inventeur, on ne
cesse de le répéter, doit être protégé, aidé, encouragé reconnu, respecté.
Pourtant nous sommes encore très loin de toutes ces bonnes intentions. Pensez par exemple
à l'image même de l'inventeur: le mythe est toujours là. Aujourd'hui encore,
l'inventeur est un original, un farfelu. Il y a vraiment de quoi décourager quiconque
d'imprimer sur sa carte de visite le mot "inventeur". De quoi décourager le
jeune homme, ou la jeune fille, qui rêve de créer. Mieux vaut en effet être officier de
carrière, footballeur, rockeuse ou politicien, qu'inventeur, dans une société où
l'image a une telle importance - la preuve, les chefs d'Etat qui se font élire davantage
aujourd'hui sur leur image que sur leur programme!
Parlons maintenant de ce qui
fait la spécificité de l'inventeur: la créativité. Cette créativité est
encouragée ou pas à l'école. On devrait inciter davantage les jeunes à
réflechir par eux-mêmes, à voir les choses d'une manière indépendante.
Malheureusement, l'école ressemble trop souvent à un lavage de cerveau: tous ces cours
appris par coeur, toutes ces structures si rigides qu'elles étouffent l'imagination de
l'enfant qui, un jour, qui sait, aurait pu devenir un créateur, un inventeur
La chaîne est longue de tous
ceux qui, de près ou de loin, ont un rôle à jouer pour créer un climat plus favorable
à la création, à l'innovation. Mais comme on me l'a demandé, je limiterai aujourd'hui
mon exposé aux relations de l'inventeur et de l'invention avec la presse et les média.
L'importance des médias
aujourd'hui est immense. Jamais au cours de l'histoire de l'humanité, les médias n'ont
eu un impact aussi grand sur notre vie, sur notre comportement - et cela grâce aux
techniques modernes, c'est-à-dire grâce aux inventeurs!
Dès sa toute petite enfance,
l'enfant est assis devant la télévision. Des heures durant, des images
défilent devant ses yeux qui s'ouvrent sur le monde et s'impriment dans son cerveau
encore si maléable. Quelques années plus tard, sur le chemin de l'école, les titres des
journaux et les couvertures des magazines agressent son regard. De ce foisonnement
d'images, que restera-t-il ensuite dans l'esprit de l'enfant? Des souvenirs de guerre, de
violence, de corps de femmes, habillées ou nues, d'exploits sportifs; les visages des
stars de cinéma
ou des stars de la politique. Jamais l'image d'un inventeur.
On pourrait disserter sur la
presse et les médias pendant des heures. Presse écrite ou médias audio-visuelles,
feuilles des partis politiques, journaux d'information générale ou spécialisés,
populaires ou élitistes; la presse et le gouvernement, la presse et l'argent, la presse
et la publicité. Le sujet est vaste, complexe, sans fin. Avec des variations très nettes
d'un pays à l'autre, d'un régime politique à l'autre.
Je devrai donc me limiter à
quelques thèmes que j'aimerais que nous utilisions ensuite ensemble comme base de
réflexion, et qui, je l'espère, provoqueront vos questions. Nous avancerons un peu en
"terra incognita", puisque rien, ou presque rien que je sache, n'a encore été
écrit sur les relations entre les médias et le monde de l'invention.
I. QUE DOIT FAIRE, QUE PEUT FAIRE L'INVENTEUR POUR SE FAIRE CONNAÎTRE,
LUI ET SON INVENTION, A TRAVERS LES MEDIAS ?
Soyons réalistes. L'inventeur
a davantage besoin de la presse que la presse a besoin de l'inventeur. A lui
de savoir se vendre, comme on dit vulgairement.
Tout d'abord vendre sa
propre image, persuader le monde qu'il n'est pas, comme on le présente en général,
un farflu, mais quelqu'un de sérieux. Tout simplement un Monsieur - ou Madame -
Tout-le-Monde qui a la particularité d'inventer.
Ensuite, l'inventeur doit savoir
présenter son produit d'une manière qui attire: donner de la séduction à son
produit comme la star donne de la séduction à son personnage. Pour cela, il lui
faut trouver l'angle qui intéresse le public. Et à quoi s'intéresse le public?
D'abord à lui-même! A sa santé, à son confort, à sa sécurité,
à son avenir. Et puis les gens adorent l'extraordinaire, l'impossible, bref le
rêve
A l'inventeur d'offrir son produit en tenant compte des goûts et de la
psychologie du public. Et si l'occasion s'en présente, de savoir profiter d'un
événement auquel il pourra lier l'idée de son invention. Présentés au bon moment, son
article, son interview, sa vidéo, feront alors tout leur effet; ce seront des
"news", comme on les appelle. Et les médias vivent de "news"!
Tous ces bons conseils à
l'inventeur sont certes plus faciles à donner qu'à réaliser. J'en suis parfaitement
conscient. L'inventeur, comme le chercheur, est en général par nature un individualiste,
et plus souvent un solitaire qu'un homme - ou une femme - de communication.
Il est un peu comme l'écrivain qui passe des années seul devant sa table pour se
retrouver soudain, son livre terminé, sous les flashes des caméras et de l'actualité.
Ainsi l'inventeur doit-il quiter la solitude de son laboratoire, de son atelier, pour
s'exposer brusquement aux yeaux du monde. Un pas qui n'est pas facile à faire et qu'il
fera avec d'autant plus de peine qu'il est méfiant. Non sans raison,
reconnaissons-le. Il lui faut parler de sa découverte, mais sans révéler son secret de
peur qu'on ne le copie. Il lui faut vulgariser son invention, tout en sachant
qu'il prend le risque d'être mal compris.
Personne n'est parfait et il
faut bien reconnaître que certains inventeurs se comportent hélàs comme des mandarins
du monde scientifique, se complaisant dans des terminologies savantes, refusant le langage
simple comme si le fait de l'utiliser allait leur enlever leur pouvoir. Arrogance
ou ignorance du monde de la communication, le fait est qu'une telle attitude, risque fort
de leur fermer les portes des médias.
II. COMMENT CREER UN CLIMAT OÙ LES MEDIAS SERAIENT PRETES A S'OUVRIR
DAVANTAGE AU MONDE DE L'INVENTION ET DE LA CREATIVITÉ
Tout rédacteur de journal vous
dira qu'hélàs les nouvelles scientifiques sont rarement rentables. Sauf le
jour, bien sûr, où un chercheur reçoit le Prix Nobel, ou lorsqu'un citoyen du pays -
nationalisme oblige - se voit octroyer un grand prix scientifique à l'étranger. En fait,
on peut dire que c'est toute la présentation du monde scientifique et technique au grand
public qui devrait être entièrement repensée.
Rares sont les journaux qui ont
les moyens financiers leur permettant d'engager des spécialistes. D'autres part,
le don de la vulgarisation scientifique n'est pas donné à tout le monde,
puisqu'il faut avoir un esprit à la fois analytique et de synthèse. Nous nous trouvons
donc ici face à un manque dans les médias. Nous manquons de journalistes
scientifiques pouvant jouer un rôle de courroie de transmission entre l'inventeur et
le public. Il nous faut donc nous contenter des autres auxquels il vaut mieux préparer le
travail si l'on veut un bon résultat; c'est-à-dire leur expliquer les choses clairement
et simplement. Ce qui n'est pas simple!
Il me vient une idée. Les
associations d'inventeurs ne devraient-elles pas compter parmi leurs membres au moins un
homme ou une femme de la communication, qui, le moment voulu, pourrait être
"l'interprète" des inventeurs auprès des médias?
Il y a la presse écrite, la
radio et bien sûr la sacro-sainte télévision. La sacro-sainte image. Or
l'image n'a jamais joué un rôle aussi ambivalent qu'aujourd'hui: elle permet certes de
récolter des millions de francs en quelques heures pour venir au secours des victimes
d'une catastrophe naturelle, mais elle peut hélas aussi servir à mettre en scène une
sinitre mascarade, pour cacher au public la vérité d'une guerre. Le positif et le
négatif, le Bien et le Mal cohabitent donc à la télévision comme dans la vie. A tous
ceux qui désirent encourager l'invention, je conseillerais, plutôt que de s'abstenir et
de la rejeter, d'essayer d'utiliser au maximum le côté positif de ce que peut offrir la
télévision.
Pourquoi les associations
d'inventeurs ne proposeraient-elles pas, par exemple, aux chaînes de télévision de
projeter régulièrement - entre deux émissions dites pour la jeunesse et malheureusement
souvent débiles - pourquoi ne proposeraient-elles pas de passer le portrait d'un enfant
ou d'un adolescent, auteur d'une invention particulièrement inspirante? Nous savons tous
que l'enfant, l'adolescent, plus encore que l'adulte, est par nature un copieur.
Créons donc l'émulation chez nos enfants! Au lieu de les laisser s'abrutir au "fast
food" de la télévision, nourrissons leur imagination. La même idée
pourrait d'ailleurs s'appliquer aux revues pour la jeunesse, à savoir, la publication
régulière d'un reportage décrivant l'histoire d'un jeune inventeur.
C'est à nous à souffler à la
presse ce qu'elle pourrait entreprendre afin de créer un climat qui encourage les jeunes
à inventer: organiser par exemple des concours d'invention, offrir des prix,
sponsoriser - comme cela se fait déjà dans quelques pays - les clubs de jeunes
scientifiques. C'est bien souvent dans ces clubs, dans ces ateliers que les jeunes se
découvrent des dons, les développent, bref qu'ils font leurs premières armes, passant
de la théorie à l'application.
Il n'y a pas que les jeunes
qu'il faut encourager. D'autres encore, dont l'âge importe peu, sont porteurs ou plutôt
porteuses de milliers d'idées non exploitées; je pense ici à cette moitié du monde -
à cette moitié du ciel comme l'appelait Mao Tse Toung - je veux dire les femmes.
A dire la vérité, si les
femmes sont oubliées dans les dictionnaires de l'inventiopn, elles ont, en revanche, un
avantage lorsqu'il s'agit de la presse. Les femmes inventeurs sont bien reçues par les
médias: Une inventrice est considérée comme un oiseau rare, et la rareté fait
la nouvelle!
D'autre part, une femme qui a
fait quelque chose d'exceptionnel trouve en général preneur dans les revues pour femmes,
très nombreuses. Quant aux pages dites "féminines" des quotidiens, elles leurs
sont également ouvertes. La solidarité féminine joue aussi son rôle; et comme les
journalistes femmes sont de plus en plus nombreuses dans les rédactions, elles favorisent
les inventrices qu'elles voient un peu comme des symboles de l'égalité des femmes par
rapport aux hommes dans la création.
En effet, lorsqu'on met en
lumière les femmes inventeurs, qui sont encore peu nombreuses, on offre des modèles
à d'autres femmes et, surtout aux jeunes filles qui cherchent quant à leur
avenir. Mathématiquement, tout ce gisement au féminin, cela fait beaucoup d'inventions
potentielles! Et non seulement cette richesse n'est pas suffisamment mise en valeur par
tous ceux qui gravitent autour du monde de l'invention, mais on y fait très très
rarement allusion dans les médias.
Et là, reconnaissons-le, les
médias ne sont pas à blamer! Tout simplement on ne leur fournit pas le matériel à ce
sujet.
Balayons en effet devant notre
porte. Cessons de nous plaindre et de critiquer. La litanie de l'inventeur oublié,
incompris, ça suffit! Plus de grands discours, agissons, mais agissons intelligemment.
Pour cela, connaissons les rouages des médias sans quoi nous nous risquons de nous perdre
dans ses labyrintes. Ne nous fâchons pas si ce qu'elles relatent n'est pas parfait.
L'essentiel est de faire connaître l'inventeur, l'invention, de provoquer la création.
Regardons les choses en face: de
nos jours, rien ne se fait sans les médias. On disait jadis que la presse était le quatrième
pouvoir, après l'exécutif, le législatif et le judiciare. Il me semble que dans
notre société d'aujourd'hui, ce quatrième pouvoir a pris la deuxième
place - juste après l'exécutif, juste après le gouvernement. Presse et
Gouvernement, Gouvernement et Presse, c'est un peu le couple infernal. Non que le
gouvernement ait perdu son pouvoir de décideur, mais la presse, son éminence grise, ne
cesse de le talonner, le talonne jour et nuit.
Depuis de longues années,
combien de symposiums, combien de séminaires durant lesquels nous ne nous sommes
adressés qu'au gouvernement. C'est dire que nous avons complètement négligé l'un des
partenaires de ce couple indissoluble, à savoir le gouvernement et la presse. Je suis
donc heureux que nous nous soyons finalement penchés sur le rôle unique que pourraient
jouer les médias pour faire connaître les inventeurs, pour créer l'émulation.
La matière grise, c'est encore
ce qu'on a trouvé de mieuxs pour faire avancer - en bien et en mal - l'humanité. Parce
que la sagesse, ça, c'est une autre question...
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